Des origines au Moyen Age

La musique est sans doute née avec la parole et la danse, à l’aube de l’humanité.
Si les arts plastiques et picturaux nous ont laissé des traces depuis des temps très anciens, environ 1 million d’années, si l’écriture du verbe semble remonter vers 5.000 av. J.C, l’écriture du son, elle, ne s’élabore que vers 500 av. J.C., dans la Grèce antique.
Mais la décadence de l’Empire Gréco-Romain suivie des constantes invasions et migrations des premiers siècles de notre ère vont engloutir ces techniques dans la nuit barbare.

Au Vème siècle, le pape Saint Grégoire (590-604) unifie la liturgie. Il organise l’ordre de la messe (Kyrie, Gloria, Credo, Sanctus, Benedictus) et impose le latin comme langue officielle et unique de toute la chrétienté.
Les textes sont recueillis dans l’“Antiphonaire Romain”, livre proposant des messes et liturgies définies pour chaque jour de l’année, ainsi que pour toutes les fêtes, sacrements et autres événements circonstanciels.
La musique n’est toujours pas notée, bien que toutes les liturgies soient chantées intégralement. Les chants sont transmis par tradition orale, avec force et précision, de génération en génération.

En 754, le pape Etienne II favorise l’installation de la dynastie Carolingienne (Pépin le Bref) sur le trône de France. Il lui demande protection contre les Lombards qui menacent Rome et devient ainsi vassal politique du Roi des Francs.
Charlemagne, fils de Pépin, saura tirer profit de ce nouveau pouvoir, le Droit Divin renforçant le pouvoir du roi avec un contrôle accru sur toute la vassalité.
Il opère ce contrôle politique et religieux grâce aux très nombreuses abbayes et églises qui se sont établies sur tout le territoire européen. Ouvrant l’enseignement, Charlemagne libère la musique profane, interdite jusqu’alors par décision papale.
Charlemagne développe des “schola cantorum” où sont enseignés les psaumes, les prémices d’un solfège, le chant, le calcul et la grammaire. La liturgie étant chantée de bout en bout, la musique tient une place importante dans l’enseignement.
Du vivant de Charlemagne, aucune réalisation musicale spectaculaire ne voit le jour. Arrêté dans les limites que lui avait fixées Saint Grégoire, le chant liturgique est dans une impasse. Le répertoire fermé (sans nouvelles compositions), monodique, bénéficiant d’une transmission orale drastique, n’a pas permis l’essor de l’imagination. Cependant, grâce à Charlemagne, des structures (développement des écoles) se mettent en place pour permettre l’éclosion d’inventions jetant les bases de la modernité. Elles vont favoriser l’évolution de la musique jusqu’à nos jours en l’arrachant définitivement au Moyen-Age et à la musique figée du chant Grégorien.
Le trope, l’écriture musicale et la polyphonie sont les inventions les plus importantes.

Le trope.
En guise d’artifice mnémotechnique, des moines de Jumièges, près de Rouen, plaçaient des paroles sous les longues vocalises de l’Alleluia du Graduel.
Les hasards des guerres font tomber vers 850 l’Antiphonaire dans les mains de Notber, moine de Saint Gall en Suisse. Il va généraliser cette pratique permettant la mémorisation de longues vocalises par le mot. On ne compose pas réellement de nouvelle pièce liturgique. Alleluia et Kyrie grégorien reçoivent de nouvelles paroles sur leurs vocalises initiales. Cela donne naissance à de nouvelles pièces se détachant du modèle pour une vie indépendante et servant de modèle à leur tour pour de nouveaux tropes.
Le trope va d’ailleurs quitter le cadre du religieux, donnant naissance à la chanson populaire. Sur des mélodies connues de tous vont se greffer des paroles en langue vulgaire. La généralisation de ce procédé va nous mener aux troubadours des XIIè et XIIIè siècles qui vont inaugurer l’écriture du chant profane.
(Le troubadour (de “tropator”, le faiseur de tropes ou de “trobador”, celui qui “sait trouver” une mélodie et un texte) est un noble qui sait lire et écrire, contrairement au saltimbanque et au ménéstrel qui ne font que colporter le chant des “tropatores”).

L’écriture musicale.
Quoique d’abord très imprécise, l’écriture va permettre l’épanouissement de l’imagination, débridant l’inspiration tout en la fixant pour les contemporains.

La notation du premier Moyen-Age est basée sur les ponctuations: le point désigne une note fixe et la virgule une montée ou une chute .
Ce principe de la direction de la voix comme aide-mémoire va se perfectionner autour d’une ligne, puis de deux, puis de quatre.
Ainsi, en deux siècles, cette notation intitulée notation neumique sera opérationnelle.
C’est à Guy d’Arezzo que l’on attribue le premier traité de solfège de toute la théorie neumique (XIème siècle).
A cette époque chaque symbole est suffisamment précis pour représenter un son dans une échelle donnée et une durée associée à un mot.
On lui attribue aussi l’appellation des notes en “ut, ré, mi, fa, sol, la, si”. Pour ce faire, il s’inspire des paroles de l’hymne grégorien de Saint Jean Baptiste, utilisant chaque première syllabe d’une phrase en correspondance d’ une nouvelle note.
Ut qu-art la-xis Re-so-na-re fi-bris Mi-ra ges-to-rum Fa-mi-li tu-o-rum Sol-ir pollu-ti La-bii re-a-tum Sancti-Jo-a-nes

La polyphonie.
Ce procédé va définitivement couper la musique occidentale de la tradition moyen-orientale restée fidèle à la monodie.
Deux principes sont décrits pour la première fois au XIème siècle par Otger, Abbé de Laon.
Le premier est appelé diaphonie (deux mélodies superposées), date vraisemblablement de la Grèce antique. Il s’agit d’une même mélodie, chantée à une octave de différence par un choeur d’hommes et un choeur de femmes ou d’enfants.
Dans le second, un groupe de chanteurs non professionnels (l’assemblée hétéroclite d’une église) entame une mélodie sur deux notes différentes et chante l’ensemble en deux lignes parallèles (sans se soucier cependant des distances harmoniques).
Cette codification par Otger de la polyphonie par lignes parallèles est un point de départ important. Il propose alors un principe de chants par mouvements différents : une première voix principale suit le chant initial, une seconde, appelée organale, se libère de la première en partant de l’unisson vers la quinte par mouvement contraire. Voilà la base de l’organum tant utilisé jusqu’au XIIIème siècle et qui connaît son apogée chez des maîtres comme Léonin et Pérotin de l’école de Notre Dame de Paris.
La polyphonie, comme l’écriture, va s’organiser lentement. Elle aura de nombreux détracteurs, dont les fameux troubadours, fidèles à la monodie, à la flexibilité de la ligne, à la sensualité du chant unique laissant la voix libre de toute inflexion.
Mais la monodie mourra avec les troubadours, vestige de temps révolus, balayée par les progrès vertigineux des XIIIème et XIVème siècles qui vont amener la polyphonie à un équilibre absolu des quatre voix (basse, tenor, alto, soprano). Cet équilibre restera jusqu’à nos jours le modèle de la composition musicale.
Dorénavant l’évolution de la modernité n’aura plus de limites. La messe polyphonique à quatre voix de Guillaume de Machault en sera une des pierres angulaires. Maître de l’Ars Nova, chantre à l’abbaye de Cambrai, esprit universel, poète, philosophe et musicien, celui-ci prépare en ce XIVème siècle la “renaissance” des siècles à venir.