La musique symphonique

La complexité de l’écriture et de l’exécution ne fait qu’augmenter. Dans le même temps, les petites formations privées se font rares. A la fin du XIXème, les commandes de salon comme celles de la noblesse disparaissent presque totalement.
Les compositeurs se tournent alors vers une nouvelle demande : le concert, dont les bourgeois et le peuple sont les nouveaux demandeurs.
Suivant la voie tracée par Beethoven, les compositeurs s’engouffrent dans le genre symphonique, très à la mode et très porteur. Qui avec prudence, comme Schumann, qui avec force comme Berlioz. Ce dernier impose à la musique symphonique une nouvelle conception, une nouvelle jeunesse.

Tout semblait avoir été dit après l’avènement de la neuvième symphonie de Beethoven. Pourtant, le Français Hector Berlioz (1803-1869) ouvre une nouvelle voie, celle du poème symphonique, systématisant l’idée de “programme” pour la totalité de l’oeuvre.. “La Symphonie Fantastique” créée à Paris en 1830 en est le plus bel exemple car le musicien s’y met directement en scène à travers un livret autobiographique qui raconte les mésaventures amoureuses d’un jeune musicien. La musique suit directement le livret et devient donc descriptive d’un argument. Le public se voit guidé dans son écoute et sa compréhension.
Une autre idée se profile derrière l’argument symphonique : celle de motif cyclique, ou leitmotiv, que nous retrouverons plus tard chez Wagner. Ce thème cyclique donne prétexte à différentes variations dans les mouvements. Il sert également d’élément unificateur au plan général, qui s’écarte ainsi passablement du plan sonate.
Berlioz orchestre sa symphonie avec une telle richesse de sonorités et de coloris, de sensations d’ambiance qui soulignent à merveille l’argument, que l’orchestration “Berliozienne” deviendra une référence pour tous les compositeurs de l’époque. Il immortalisera d’ailleurs cette référence dans son traité d’orchestration, toujours utilisé dans les académies du monde entier.
Berlioz ne reste jamais très longtemps en Autriche et il ne songera jamais à s’y installer. Son succès est plutôt mitigé, le public n’étant pas encore prêt pour un tel gigantisme. Heureusement, il impressionne tous les compositeurs de son temps. Liszt, Schumann et même Wagner (qui ne voudra pas le reconnaître), lui doivent d’avoir ouvert une voie royale à la grande symphonie romantique, s’émancipant de la symphonie Beethovénienne.
Chez Liszt, le poème symphonique est omniprésent, mais le programme y est plus évocation que description.
Schumann (1810-1856) fait intervenir un quatrième mouvement dans la “Symphonie rhénane” qui en compte cinq. Son aspect lugubre et mélancolique tranche avec le reste de la composition. Ce passage morbide n’est-il pas une préfiguration de son suicide manqué de 1853 où il se jette dans le Rhin dans un accès de folie? Cette folie l’emportera d’ailleurs définitivement en 1856, lors de son internement à Eudenich.
Toute son oeuvre est truffée de symboles, de références littéraires, de citations de toutes sortes plus ou moins visibles. Elle révèle un grand goût du mystère, de la mystification et de la mise en scène.

Mendelssohn écrira “les songes d’une nuit d’été” d’après l’oeuvre de Shakespeare. Il y créera la fameuse marche nuptiale devenue aujourd’hui traditionnelle.
Le compositeur qui emploie le programme dans son sens le plus immédiat est sans doute Richard Wagner (1813-1883).
S’exprimant à travers le genre opéra, il fait de l’argument le fondement même de son art. Ici, pas de place pour le secret, pour le mystère : les mots sont là pour guider le public à travers la pensée de l’auteur.
Dans ce but, Wagner utilise la grande écriture symphonique qu’il développe dans l’opéra comme jamais personne ne le fit auparavant. Et il le fait si bien que l’opéra entrera dans la tradition de la grande symphonie germanique créée par Beethoven. Le compositeur désormais tout-puissant écrit ses livrets, sa musique, la dirige et la met en scène. Les livrets prennent tous leur origine dans la mythologie nordico-germanique à laquelle il adjoint de fortes résonances nationalistes. Ainsi, quand il reprend les vieilles légendes celtiques de Tristan et Iseult ou de Perceval, il les germanise en Tristan et Isolde et Parsifal, et y glorifie la nation allemande.
Sur le plan musical, Wagner utilise un effectif orchestral très important avec une prédominance des instruments à vent. C’est un des traits caractéristiques de sa musique.
Créant un chant à la limite du récitatif et du chant continu, il pousse ses chanteurs jusqu’à leurs limites.
Poursuivant l’idée cyclique de Berlioz, il invente des cellules mélodiques appelées leitmotiv. Ces motifs servent à définir des personnages, à souligner des idées et à visualiser musicalement des concepts. Les différentes variations de ses thèmes donnent à sa musique une puissance d’évolution psychologique, ce qui fera une grande part de son succès.

Né à Leipzig en 1813, Wagner mourra à Venise en 1883.
Sa vocation musicale est tardive car il est d’abord attiré par le théâtre et la vie d’acteur. A partir de 1828 il étudie sérieusement la composition. Ses premiers opéras sont un désastre. “Das Lichesverbot”, l’un de ses premiers opéras, l’oblige à démissionner de son poste de directeur musical de l’opéra de Magdebourg. Son premier opéra, “les Fées”, ne sera représenté que 50 ans plus tard à Munich.
Un premier mariage raté et des démêlés avec la justice française de 1839 à 1842 pour cause de dettes, le conduisent à Dresde en 1842 où il connaît son premier triomphe avec “Rienzi”. Pourtant, l’année suivante dans le même théâtre, “Le Vaisseau Fantôme” est un échec.
De 1845 à 1848 il compose “Tannhaüser”, qui aura un petit succès, “Lohengrin”, et commence “Les Maîtres Chanteurs”.
En 1848, porte-drapeau d’une Saxe indépendante et républicaine, il prend part aux événements de Dresde. Menacé par la police pour s’être notamment lié à l’anarchiste Bakounine, il trouve refuge à Weimar chez Liszt. De 1849 à 1866, suit une longue période de voyages où il conçoit toute son oeuvre future. Il vit un an à Vienne dans une situation financière précaire. Il s’établit enfin près du lac de Lucerne jusqu’en 1872. La fille de Liszt, mariée à Hans von Bülow (Pianiste et chef d’orchestre allemand) grand admirateur de Wagner, l’a rejoint en 1869. Ils s’étaient déclaré leur amour dès 1863 et resteront ensemble jusqu’à la mort du maître.
Wagner trouve un appui auprès de Louis II de Bavière, son plus grand protecteur. Le souverain finance la construction de son théâtre (1872-1876), le loge à Bayreuth dans une somptueuse villa, et lui procure les moyens de vivre sans aucun souci financier. A Bayreuth, Wagner crée son royaume. Démiurge, il y règne en maître absolu, et fait de son oeuvre un véritable mythe. La Tétralogie, et surtout Parsifal qu’il met presque 20 ans à composer, remplissent la fin de sa vie. Il meurt lors d’un voyage à Venise. Son corps est rapatrié à Bayreuth pour y être enterré après des funérailles somptueuses.

Wagner a synthétisé dans son oeuvre la plupart des idées esthétiques et compositionnelles de son époque. Dérangeant tout autant que fascinant, il est devenu le porte-parole de la nouvelle musique. Dorénavant, les compositeurs se situeront par rapport à lui. Les pro et les anti Wagner vont se livrer une guerre sans merci.
Dans ce contexte, et à l’appoche de cette fin de siècle, va émerger le mouvement expressionniste allemand.