La Russie, autrement…

Moscou, Volga, hiver, Kremlin, balalaïka, autant de noms qui évoquent ce pays immense s’étendant de l’Europe aux rives du Pacifique. Gazprom, oligarchie, empire renaissant, mafia, nouveaux riches sont devenus les vocables incontournables de tout article ou livre consacré à la Russie. Comme si le reste n’existait pas. Comme si hors Saint-Pétersbourg l’impériale et Moscou l’affairiste, la Russie était une vaste plaine peuplée d’êtres sans existence réelle, non-êtres oubliés de l’histoire en marche.

Depuis 1986, je me rends régulièrement dans le pays de mes origines. 20 ans d’amitiés, d’attachements, d’espoirs, de déceptions, de fascinations, de certitudes généralement suivies de doutes. J’y ai vécu l’apparition de Gorbatchev et de sa Perestroïka, les premières libéralisations, l’émergence de Boris Eltsine, l’éclatement de l’Empire, le bradage des richesses notamment au profit de l’actuelle oligarchie, l’éclosion de la classe moyenne, l’extrême paupérisation d’une partie de la population, le bouleversement socio-économique de tout un peuple sortant de 70 années de totalitarisme. J’y ai lié de belles amitiés avec des hommes et des femmes aussi différents que musiciens et hauts fonctionnaires, religieux et hommes d’affaires prospères, ex-kolkhoziens sans avenir et jeunes cadres dynamiques. Je vis presque au quotidien les inquiétudes d’un peuple partagé entre la tentation sécuritaire et la peur de la confiscation, même partielle, d’une liberté toute neuve. Une frénésie de consommation s’est emparée d’une partie du peuple Russe. Une autre partie tente simplement de survivre.

Passer des embouteillages monstres de Moscou au tintement lointain d’un clocheton caché par des bouleaux, chevaucher dans les montagnes du Caucase, rêver en flânant le long des canaux de Saint-Pétersbourg, autant de sensations différentes et parfois étranges. Et malgré tout cela, je déclare sans honte que plus je me rends dans ce pays, plus mes certitudes s’envolent au bout des steppes infinies, laissant la place à des interrogations auxquelles je suis souvent incapable de répondre… Alors, je vous invite à partager avec moi quelques fragments de cet espace et de cette vie russes, tout simplement. Sans a priori. Et bien sûr sans certitudes.

Le film

Au fil des saisons, des lointaines provinces aux festivités des Nuits Blanches de Saint Petersbourg, des monastères médiévaux aux palais des tsars, des pèlerinages traversant les campagnes aux splendeurs de l’hiver russe, l’auteur nous emmène dans un monde quasi inconnu des occidentaux.

Un spectaculaire raid tout-terrain à travers les forêts de la Russie du Sud et une expédition équestre dans les montagnes du Caucase complètent cette découverte étonnante d’un pays méconnu, loin des clichés, des modes et autres raccourcis parfois simplistes.

Un document plein de sensibilité, montrant une Russie qui retrouve ses racines profondes, un peuple à la recherche de ses traditions et de sa culture ancestrale.

Le programme du film

Première partie

  • Moscou. Pétro-roubles et modernisme
  • L’art de la peinture d’Icône
  • Kremlins et monastères
  • Le pèlerinage annuel de Borissogleb
  • Souzdal, cœur de la Russie
  • L’art de la fonderie des cloches.
  • Les carillonneurs
  • Musiques et traditions
  • Saint-Pétersbourg, capitale des Tsars
  • Palais impériaux et Nuits Blanches

 

Production: MNDCom-Suisse / Réalisation: Michel Drachoussoff

Deuxième partie

  • Caucase, montagnes des dieux
  • Un raid 4×4 dans la forêt semi-tropicale caucasienne
  • Découverte équestre
  • L’automne, pêche et champignons
  • L’hiver Russe

Les cloches

Les cloches en RussieUnique instrument de musique joué dans les offices orthodoxes, la cloche est devenue non seulement partie intégrante de la culture russe, mais également de la vie des russes. Certaines cloches ne furent-elles pas personnalisées, au point d’être punie, ou même exilées -comme ce fut le cas à Ouglitch au XVIIème siècle- ? Au début du XXème siècle, chaque ville, chaque quartier, chaque église avait non seulement ses cloches, mais également son style de jeu et sa sonorité propre, créant un lien très particulier et très intime entre les églises et les habitants vivant aux alentours.

Lorsque le pouvoir soviétique décida d’éradiquer la religion, on commença par enlever les battants (appelés langue) des cloches pour les rendre muettes. Ce geste était symbolique, et extrêmement mal vécu par la population. Ensuite on jetait la ou les cloches en bas de leur clocher, avant de détruire l’église ou de la transformer en atelier mécanique, étable ou parfois musée.

Contrairement à l’Occident où l’on accorde une grande importance à la mélodie, en Russie, la primauté est donnée au timbre, au rythme et au tempo. En Occident, les cloches sont généralement mobiles, et on les fait résonner selon la technique de la volée, alors qu’en Russie, on frappe les cloches fixes en tirant les battants (langues) par des cordes attachées à leur extrémité. C’est ce qu’on appelle la technique du tintement. Ceci permet de varier à l’infini la cadence et l’intensité des coups.

L’art de la peinture d’icône

Dans la confession orthodoxe du christianisme, l’icône revêt une importance particulière. Cette peinture religieuse est omniprésente, dans les églises, dans les maisons, lors des processions, des pèlerinages, des cérémonies religieuses. L’icône est bien plus qu’une image pieuse, car elle possède un sens théologique profond. L’esprit du personnage ou des évènements représentés se trouvent dans la peinture, et le lien entre l’humain et le divin y est sacralisé. On vénère l’icône comme on écoute le prêtre ou lit les textes sacrés. Ainsi, l’écriture d’une icône n’est pas seulement le résultat d’une création artistique, mais également l’aboutissement d’une prière et de la quête du divin.

Icone de RoublevLes premières icônes étaient réalisées selon la technique de l’encaustique, proches des portraits du Fayoum (Egypte). Puis on passa à la technique de la « détrempe », peinture dont les pigments sont liés par de l’eau (et parfois de vin blanc) additionnée de différents ingrédients (colles organiques, blanc ou jaune d’œuf, gomme d’arbre). Le support est une planche de bois, généralement du tilleul (qui se fend moins que le chêne et ne risque pas de libérer de la résine comme les épineux), recouverte d’un mélange de colle et d’albâtre qui après ponçage donnera une surface parfaitement plane.

L’iconographe va alors réaliser le dessin de l’icône. Toutes les étapes, tous les thèmes, tous les traits doivent suivre un canon bien établi. L’originalité est interdite. Parfois, certains prennent quelques libertés, comme faire une œuvre de composition, mais chaque élément, chaque personnage, doit se rapprocher le plus possible des modèles écrits par les grands maîtres (Théophane le Grec, et surtout Andreï Roublev). Suivront alors les étapes de la pose de l’or, de la peinture, de l’éclaircissement éventuel, de la finition et l’écriture des indications précisant le nom du personnage ou la scène représentée.

Les thèmes des icônes sont nombreux : personnages (le Christ, Marie, les Saints), épisodes de la vie du Christ, de Marie, des scènes de l’Ancien Testament, le Jugement dernier, etc… Certaines icônes, dont certaines sont réputées miraculeuses, sont particulièrement vénérées et font l’objet d’un véritable culte.

Moscou

11 millions d’habitants. Près de 1000 km carrés. 9 gares ferrovières draînant quotidiennement 2,5 millions de passagers, 4 aéroports, 258 km de métro, 150 marchés, 12.000 points de vente au détail, 96 parcs, 60 théâtres.

85% des finances du pays passent par Moscou qui s’est métamorphosée en quelques années seulement. La ville froide, cœur du système soviétique, est devenue une mégapole bouillonnante qui vit 24 heures sur 24, avec ses supermarchés, ses restaurants et galeries marchandes ouverts jour et nuit, ses embouteillages monstres de 8 heures du matin à minuit. Le prix de l’immobilier flambe, reléguant les plus pauvres vers les lointaines banlieues.

Le pèlerinage annuel de Borissogleb

La région de Borissogleb est redevenue depuis quelques années un haut lieu de pèlerinage. Une foule de plus en plus nombreuse se retrouve ici au mois de juillet pour entamer une marche de plusieurs jours, à travers villages et champs. La tradition des pèlerinages est très ancienne. Elle arriva en Russie avec le Christianisme, et ce dès le début du XIème siècle.
Les pèlerinages se sont toujours effectués pour sanctifier les gens et tout ce qui leur est nécessaire dans la vie, comme les maisons, les routes, les eaux, et la terre elle-même (car incessament foulée et souillée par les pieds des pécheurs).

Les processions religieuses étaient fréquentes en Russie.. Bien sûr lors des grandes fêtes religieuses comme Pâques, ou la Theophanie. Mais on organisait également des processions exceptionnelles lors d’épidémies, de guerres, de la rencontre d’une icône miraculeuse, pour accompagner l’Empereur ou le Prince partant en guerre ou l’accueillir à son retour après la victoire.

La tradition raconte que la première procession dans cette région a été effectuée par saint Serge de Radonege accompagné des saints Feodor et Paul lorsqu’il leur désigna le lieu où construire le Monastère.
Parcourant l’histoire du Monastère des Saints martyrs Boris et Gleb et des paroisses avoisinantes, on se rend compte du nombre impressionant de ces processions solennelles avec gonfalons, croix, icônes et autres objets sacrés autour des églises ou vers des lieux particuliers ou saints. Les plus fréquentes s’effectuaient à l’occasion d’incendies, de pertes ou maladies du bétail, d’infections par la vermine des réserves pour l’hiver, d’épidémies de cholera ou autres, à l’occasion de manque de blé, des orages, de villes assiegées, etc…

Il en était de même pour la procession en l’honneur de St Irinarkh menant du monastère à la source de Kondakovo, près du lieu de sa naissance. Selon la tradition, elle durait toute une semaine, avec arrêt et service religieux dans chaque paroisse. Y participaient des milliers de croyants et de nombreuses personnalites importantes, des princes, de hauts dignitaries de l’église.
La révolution de 1917 mit fin à ce pèlerinage, et il fallut attendre 1997 pour qu’avec la bénédiction de l’archevêque Michée. le Père Ioann, Igoumene (Supérieur) du monastère, puisse organiser la renaissance de cette procession.

La marche à travers villages et campagnes, quel que soit le temps, chaleur, froid, vent, pluie, rassemble des hommes et des femmes de tous âges, de professions et de milieux sociaux très divers. On y rencontre des prêtres et leurs familles, des personnes d’âge mûr, mais aussi de nombreux jeunes et des enfants. Egalement des professeurs, des ingénieurs, des artistes, des ouvriers.
La foi est profonde, les convictions inébranlables, et pendant ces 3 jours la convivialité, la joie de partager un événement qui à chacun semble exceptionnel donnent à ce pèlerinage son caractère unique.

Le pèlerinage prend fin à la source qui se trouve près du lieu de naissance de Saint Irinarkh. Ultime action de grâce, bénédictions, prières. Puis, chacun va remplir une bouteille ou un bidon avant de retourner chez soi, avec des souvenirs plein le cœur, une âme apaisée, et de l’eau bénite à offrir à ses proches.

Kremlins et monastères

Le nord de l’ancienne Moscovie est extrêmement riche en cités et monuments historiques que l’on regroupe dans une appellation devenue symbolique : l’Anneau d’Or.

Kremlin de Rostov-le-Grand

Kremlin de Rostov-le-Grand

 

Cette boucle de kremlins, de monastères, d’églises a survécu à des siècles ponctués d’invasions venues de l’ouest (Lituaniens, Polonais), venues du sud et de l’est (Tatares, Mongols), de guerres civiles, d’ukases de Tsars ordonnant leur destruction partielle ou totale. Ces témoins du passé ont également survécu au système communiste qui a tenté (avec force et méthode) d’éradiquer toute expression et toute forme de religiosité en détruisant des milliers de lieux de culte appartenant par ailleurs au patrimoine culturel de la Russie.

Les touristes qui aujourd’hui visitent ces différentes cités, ces sites religieux, ces lieux emplis d‘histoire et de spiritualité, ignorent souvent la remarquable organisation sociale et politique de la Russie du début du XIIème siècle, époque du développement de la plupart des sites faisant partie de cet « Anneau d’Or ».

En ce début du XIIème siècle, Kiev avait perdu sa puissance et ne contrôlait plus ses immenses territoires. Elle fit appel à Vladimir Monomaque qui restaura l’unité du pays de 1113 à 1125.

A la tête de l’Etat, le Grand-Prince était entouré de sa « Droujina » (conseillers et chefs militaires, ancêtres des « boïars »). Le « Conseil du Prince » était composé de plusieurs centaines de seigneurs exerçant de hautes fonctions militaires, judiciaires et fiscales. Les villes avaient leur « Viétché », assemblée de tous les citoyens, et chaque commune urbaine et rurale avait une assemblée municipale.

La population se subdivisait en trois classes : les riches marchands des villes et les grands propriétaires terriens; la classe moyenne formée d’hommes libres réunis en sortes de « corporations », agriculteurs, artisans, boutiquiers, fonctionnaires subalternes ; le petit peuple composé de dépendants temporaires (pour dettes), d’ouvriers agricoles et d’esclaves (prisonniers de guerre, faillis, vendus volontaires).

La structure de la société n’était donc pas tout à fait féodale comme dans les pays d’Europe occidentale. La paysannerie était toujours libre, non liée à la terre, et pouvant donc se déplacer comme bon lui semblait. Quant à l’Eglise, elle avait un statut particulier, et sa puissance était avant tout morale et religieuse. Son influence politique réelle ne commença à croître qu’à partir de la moitié du XIIIème siècle. Les XIVème et XVème siècles virent la naissance des grands sanctuaires comme les monastères de la Trinité Saint Serge, de Kirillov, de Péréslav-Zalesski (Goritski), Les XVIème, XVIIème et XVIIIème permirent aux architectes de donner la pleine mesure de leur talent, et l’on vit s’ériger de véritables merveilles.

Le monastère de la Trinité Saint Serge

Monastère de la Trinité Saint Serge

 

Ces villes étaient des centres commerciaux prospères, des centres religieux et culturels dont le rayonnement se diffusa dans l’espace… et dans le temps.