Ludwig Van Beethoven

Beethoven (1770-1827)

“Prince! Ce que vous êtes, vous l’êtes par hasard et par naissance. Ce que je suis, je le suis par moi-même. Il y a eu et il y aura encore des milliers de princes. Il n’y a qu’un Beethoven.”
Beethoven au prince Lichnowsky. 1806.

Tout est en place pour une nouvelle ère, une nouvelle époque.
Le vent de la Révolution française a soufflé de façon irréversible sur toute l’Europe. L’Empire et les guerres napoléoniennes exacerbent les passions, la révolution industrielle renforce le changement économique et social.
La clarté du siècle des lumières s’est éteinte, et le vieux siècle “précieux et poudré” est mort.
Mais si la Révolution eut Danton et Robespierre, si l’Empire eut Napoléon, il manque encore au romantisme une figure emblématique. Mozart, qui n’a pas réussi à s’imposer de son vivant, ne peut remplir ce rôle. Sa musique paraîtra d’ailleurs bien vite démodée en ce XIXème siècle friand de nouveauté.

Cette figure naît à Bonn en 1770, descendant d’une famille originaire de Flandre, les Van Beethoven.
Le père du jeune Ludwig, ténor à la cour du prince électeur de Cologne, lui enseigne les bases de la musique. Le piano et le violon seront ses deux instruments de prédilection.
A 10 ans, il donne ses premiers concerts, prend des cours auprès du compositeur Neefe et en 1787 part pour Vienne espérant recevoir des leçons de Mozart qu’il admire.
Malheureusement la mort de sa mère le rappelle à Bonn. Mozart aurait toutefois entendu le jeune Beethoven, mais sans y avoir prêté une grande attention, peu enclin à s’intéresser aux enfants prodiges, souvenir d’un passé douloureux.

En 1792, Haydn prend en charge l’éducation de Beethoven qui s’installe alors définitivement à Vienne.
Les rapports avec Haydn sont difficiles : leurs deux génies ainsi que leurs caractères opposés ne facilitent pas le rapprochement. Durant toute sa vie, Beethoven n’acceptera jamais de se plier à une autre discipline que la sienne.
En 1794, après Haydn, c’est Alberchtsberger (1736-1809. Célèbre contrapuntiste qui a laissé une importante production de musique sacrée et de chambre.) et Salieri qui reprennent la tâche, avec plus de bonheur. Salieri, contrairement aux portraits qu’en ont fait certaines littératures, est un homme courtois, cultivé, aimable et fort attentif à ses élèves. Il sera un des meilleurs professeurs de Beethoven.

En mars 1795, Beethoven se présente pour la première fois au grand public. Il joue son concerto pour piano en si bémol majeur (concerto n° 2) dans le cadre prestigieux du Burgtheater.
Pianiste virtuose, imaginatif et grand improvisateur, Beethoven, est immédiatement fort apprécié par la haute société viennoise. Les Lichnowsky qui le logent chez eux donnent en concert dans leur salon les premières oeuvres du compositeur : les trios opus 1.
Le Comte Karl Lichnowsky (famille polonaise installée à Vienne) qui fut autrefois un ami de Mozart, esprit fort ouvert, voltairien, franc-maçon, sera son protecteur le plus fidèle et le plus généreux.
Le comte Andrei Razoumovsky (ambassadeur du Tsar Alexandre I), le prince Lichnowsky, le prince M. Lobkowitz, le comte Moriz von Fries (banquier récemment anobli), le comte J.G. von Browne-Camus et Zmeskall von Domanowecz comptent également parmi ses mécènes.
Ils entretiendront Beethoven, lui versant des rentes, l’invitant dans leurs palais, y faisant créer sa musique.
En cinq ans, Beethoven se fait plus d’amis que Mozart en dix ans. Très vite il est à l’abri des soucis matériels, ce qui lui permet de ne pas travailler sur commande, mais au gré de son inspiration. Son catalogue sera dès lors moins important que celui d’autres compositeurs, mais ses oeuvres seront plus longuement et plus profondément mûries.
N’ayant pas d’échéance, Beethoven peut se permettre de travailler sans hâte, de penser chaque note. C’est ainsi que l’on voit des mélodies et esquisses mûrir très lentement. Contrairement à Mozart, compositeur d’inspiration, c’est plutôt un laborieux, un perfectionniste prenant beaucoup de temps pour élaborer ses constructions. Il arrive très vite à se forger une originalité, une personnalité compositionnelle toute nouvelle. Sans concessions, n’écoutant que son génie, il s’impose dans ses premières années viennoises comme compositeur et comme homme du monde.
Très mondain, il aime la compagnie, particulièrement celle des jeunes femmes de la haute société, plus belles les unes que les autres dans leurs robes “déshabillantes” de cette fin du XVIIIème siècle.
Il est adulé et admiré en tant que pianiste et compositeur. Certes, il côtoie les grands, mais le “Van” flamand de son nom n’étant pas une particule noble, il est repoussé dès qu’il s’approche de trop près.
Beethoven aura de nombreuses amours avouées et inavouées, parfois partagées, souvent bafouées mais jamais consommées. On peut admirer un créateur, mais on ne badine pas avec les intérêts familiaux…
Il restera célibataire, tout en dédiant certaines de ses plus belles pages à quelques “bien-aimées lointaines”.
Le plus étonnant, c’est que personne ne semble choqué par ses innovations, son style énergique, véhément, aux dissonances affirmées et aux brusques changements dynamiques. Mozart fut rejeté pour moins que cela…

Tout semble sourire au musicien, jusqu’aux alentours de 1798-1800 où les premières atteintes de la surdité se font sentir.
Bien que l’évolution du mal soit très progressive (elle ne sera complète que vers 1810), elle le marque psychologiquement dès le début et le gêne sur le plan relationnel. Mais elle ne modifie rien sur le plan musical. En effet, comme tout compositeur, Beethoven entend sa musique de l’intérieur et la retranscrit sur le papier. Mais cet homme pour qui la relation avec l’autre est si importante finira par se couper du monde. Incapable de bien communiquer, il préférera s’isoler, se retirer en des lieux où sa musique prendra valeur de communication universelle.
En octobre 1802, il écrit dans le célèbre testament d’Heiligenstadt (Village faubourg de Vienne, près de Grienzing.) sa résolution de dire adieu à son existence passée et choisit sa vie solitaire.
En 1801, Beethoven a déjà composé une symphonie (et en prépare une deuxième), deux concertos pour piano, le septuor, les trios op. 9, quatuors op. 18 et sonates op. 13, pour ne citer que les oeuvres de premier plan.
C’est dans la seconde partie de sa vie que va germer l’oeuvre la plus marquante et la plus incontournable de toute la musique occidentale, et cela dès 1804 avec la création de la symphonie héroïque (n°3).
Si la cinquième est la plus connue, la septième la plus aimée du grand public et la neuvième la plus démente, la troisième est la plus révolutionnaire. Elle se démarque définitivement de tout ce qui a été écrit précédemment. Elle utilise la forme sonate en la dépassant considérablement. Elle utilise un effectif orchestral jamais atteint, avec une difficulté d’écriture incroyable pour l’époque (les musiciens n’arrivent pas à la jouer), une audace de style et de langage inouïe, une dimension temporelle gigantesque.

“…c’est l’avènement d’un homme nouveau qu’elle proclame, … qui s’est libéré définitivement des contraintes du XVIIIème siècle.” H.L. de la Grange (Musicologue français contemporain).

Et, fait étonnant pour une oeuvre de cette envergure, la troisième symphonie reçoit un accueil tout à fait honorable. Certes, Beethoven se plaint de ne pas être beaucoup joué, mais il n’en est pas moins le compositeur le plus célèbre de toute l’Autriche. Sa célébrité s’étend à toute l’Europe grâce à la publication et la grande diffusion de son oeuvre. (Beethoven met les différents éditeurs en concurrence, retenant les meilleures offres.)

Pourtant, en cette époque où la musique instrumentale a déjà toutes ses lettres de noblesse, et malgré trois superbes symphonies, trois premiers concertos pour piano, la véritable consécration doit passer par l’opéra.

Mais ici, les choses se gâtent, car si Beethoven n’a pas son pareil pour faire chanter le piano ou l’orchestre, il n’est en revanche pas très à l’aise dans l’écriture pour la voix. Néanmoins, il travaille sur “Fidélio” dont le livret représente un vaste hymne à l’amour.
L’argument l’emballe, mais le résultat est discutable. La création de Fidelio en novembre 1805 n’a droit qu’à trois représentations. Six mois plus tard, l’opéra remanié ne sera joué que 2 fois.

Après cet échec, Beethoven se lance à corps perdu dans la composition des quatuors opus 59, de la quatrième symphonie, du quatrième concerto pour piano et du concerto pour violon.
Ces oeuvres écrites, plus rien ne sera comme avant.
Le concerto n°4 révolutionne toutes les données du concerto classique. C’est en effet le soliste qui débute l’oeuvre. Réinventant un nouvel ordre, un nouvel équilibre de la partition, Beethoven emmène ses auditeurs dans des contrées inexplorées.
Le concerto pour violon prend une dimension symphonique jamais atteinte. C’est la pleine maturité d’un compositeur de génie maîtrisant son oeuvre, sachant où il va.
Suivent dans ce même éclat en 1807 et 1808 la cinquième et la sixième symphonie ( dont à l’époque les numéros étaient inversés), la grande sonate pour violoncelle op. 69 et les deux trios op. 70.

Pourtant Beethoven se plaint du manque d’argent. Malgré l’admiration générale, il a peu de concerts, et le compositeur, déjà fort handicapé, a de gros problèmes pour diriger l’orchestre.
Quant à ses interprétations au piano, elles sont inaudibles: à cause de sa surdité, il accentue trop les nuances.
Heureusement, trois dignitaires de l’Empire s’engagent à lui verser 4.000 florins annuels: le prince Lobkowitz, le prince Kinsky et l’Archiduc Rodolphe (frère de l’Empereur François 1er), élève de Beethoven et qui lui voue une admiration sans limites. Beethoven lui dédiera le cinquième concerto, la sonate opus 81, le trio opus 87 et la sonate “Hammerklavier” en 1818.
L’année 1809 reste son année la plus productive malgré la présence des troupes napoléoniennes. Il est cependant très affecté par ces guerres et terriblement déçu par l’Empereur français. Après l’avoir considéré comme un symbole de la Révolution française, il s’était écrié en apprenant son sacre: “Ce n’est donc qu’un homme ordinaire! Il va fouler aux pieds tous les droits des hommes et son ambition fera de lui le plus grand des tyrans”.

Les trois années suivantes lui apportent encore quelques amours troublées en la personne de Thérèse Malfati, fille de médecin, et d’ Antonie Brentano, soeur de Bettina, amie de Goethe, sans doute sa plus douloureuse déception.
Dans le même temps, les Princes Lobkowitz et Razoumovsky sont ruinés, l’un à cause du krach financier de1811 et l’autre en partie à cause de l’incendie de son palais lors du congrès de Vienne. Une forte inflation réduit considérablement les revenus du créateur.
Les 7ème et 8ème symphonies sont terminées et il les donne en 1813 à l’Université et au Redoutensaal. Il dirige, mais très mal, l’orchestre particulièrement fourni pour l’époque (8 violons, 4 altos, 4 violoncelles, 2 contrebasses).
Pourtant, on reparle de lui dans les salons et sa situation financière s’améliore. Fidélio est remonté et connaît même un certain succès sous la direction d’ Ignaz Umlauf.

En 1814 les choses basculent. Beethoven, aimé du grand public qui bisse l’allegreto de sa 7ème symphonie, est considéré par l’aristocratie comme un “vieux pédant” et on lui fait payer son peu d’intérêt pour l’opéra.
Le destin continue de s’acharner contre lui. En 1815, il doit prendre en charge l’éducation de son neveu Karl. Mais, très abusif, excessif et possessif, il rend la vie insupportable au garçon qui tentera de se suicider en 1826.
Tout cela l’affecte beaucoup, le rend définitivement aigri. Il est très diminué physiquement. Pourtant, en tournant le dos à la société, il s’ouvre à l’humanité tout entière.

Beethoven n’entendant pas la musique de ses contemporains ne subit pas de contre-influence; il peut laisser son génie s’épancher.
De 1818 à 1822, il travaille à la “Missa solemnis”. Toute l’année 1823 est consacrée à la 9ème symphonie.

Puis ce sont les dernières années, celles de la réclusion presque totale, avec son lot de malheurs : en 1826, la mort du compositeur allemand C.M. von Weber (1786-1826. Il fut élève de Haydn. Maître de l’instrumentation romantique, il a composé des concertos et des sonates remarquables, ainsi que de nombreux lieder et quelques opéras.) et le suicide manqué de Karl, Metternich qui censure l’oeuvre de poètes que Beethoven affectionne.
Beethoven se retranche au plus profond de lui-même, ce qui favorise cet élan mystique que l’on retrouve dans ses derniers quatuors op. 129 à 135.

Une cirrhose du foie doublée d’une hydropisie ont raison du maître le 26 mars 1827 à 17 heures 45. Un testament précédant sa mort de quelques jours fait de Karl son légataire universel. Le 29 mars, plus de 10.000 personnes l’accompagnent au cimetière de Wahring.

L’oeuvre de Beethoven est inachevée, mais elle rayonnera comme un phare pour les générations futures.